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la main au comte, qui sortit en s’efforçant d’échapper aux civilités du signor Giardini et de sa femme.

Le lendemain, le comte fut introduit par Giardini dans l’appartement des deux époux. Quoique l’esprit élevé de son amant lui fût déjà connu, car il est certaines âmes qui se pénètrent promptement, Marianna était trop bonne femme de ménage pour ne pas laisser percer l’embarras qu’elle éprouvait à recevoir un si grand seigneur dans une si pauvre chambre. Tout y était fort propre. Elle avait passé la matinée entière à épousseter son étrange mobilier, œuvre du signor Giardini, qui l’avait construit à ses moments de loisir avec les débris des instruments rebutés par Gambara. Andrea n’avait jamais rien vu de si extravagant. Pour se maintenir dans une gravité convenable, il cessa de regarder un lit grotesque pratiqué par le malicieux cuisinier dans la caisse d’un vieux clavecin, et reporta ses yeux sur le lit de Marianna, étroite couchette dont l’unique matelas était couvert d’une mousseline blanche, aspect qui lui inspira des pensées tout à la fois tristes et douces. Il voulut parler de ses projets et

de l’emploi de la matinée, mais l’enthousiaste

Gambara, croyant avoir enfin rencontré un bénévole auditeur, s’empara du comte et le contraignit d’écouter l’opéra qu’il avait écrit pour Paris.

– Et d’abord, monsieur, dit Gambara, permettez-moi de vous apprendre en deux mots le sujet. Ici les gens qui reçoivent les impressions musicales ne les développent pas en eux-mêmes, comme la religion nous enseigne à développer par la prière les textes saints ; il est donc bien difficile de leur faire comprendre qu’il existe dans la nature une musique éternelle, une mélodie suave, une harmonie parfaite, troublée seulement par les révolutions indépendantes de la volonté divine, comme les passions le sont de la volonté des hommes. Je devais donc trouver un cadre immense où pussent tenir les effets et les causes, car ma musique a pour but d’offrir une peinture de la vie des nations prise à son point de vue le plus élevé. Mon opéra, dont le libretto a été composé par moi, car un poète n’en eût jamais développé le sujet, embrasse la vie de Mahomet, personnage en qui les magies de l’antique

sabéisme et la poésie orientale de la religion juive se sont résumées, pour produire un des plus grands poèmes humains, la domination des Arabes. Certes, Mahomet a emprunté aux Juifs l’idée du gouvernement absolu, et aux religions pastorales ou sabéiques le mouvement progressif qui a créé le brillant empire des califes. Sa destinée était écrite dans sa naissance même, il eut pour père un païen et pour mère une juive. Ah ! pour être grand musicien, mon cher comte, il faut être aussi très savant. Sans instruction, point de couleur locale, point d’idées dans la musique. Le compositeur qui chante pour chanter est un artisan et non un artiste. Ce magnifique opéra continue la grande œuvre que j’avais entreprise. Mon premier opéra s’appelait les Martyrs, et j’en dois faire un troisième de la Jérusalem délivrée. Vous saisissez la beauté de cette triple composition et ses ressources si diverses : les Martyrs, Mahomet, la Jérusalem !

Le Dieu de l’Occident, celui de l’Orient, et la lutte de leurs religions autour d’un tombeau. Mais ne parlons pas de mes grandeurs à jamais perdues ! Voici le sommaire de mon opéra.

« Le premier acte, dit-il après une pause, offre

Mahomet facteur chez Cadhige, riche veuve chez laquelle l’a placé son oncle ; il est amoureux et ambitieux ; chassé de La Mecque, il s’enfuit à Médine, et date son ère de sa fuite (l’hégire). Le second montre Mahomet prophète et fondant une religion guerrière. Le troisième présente Mahomet dégoûté de tout, ayant épuisé la vie, et dérobant le secret de sa mort pour devenir un Dieu, dernier effort de l’orgueil humain. Vous allez juger de ma manière d’exprimer par des sons un grand fait que la poésie ne saurait rendre qu’imparfaitement par des mots.

Gambara se mit à son piano d’un air recueilli, et sa femme lui apporta les volumineux papiers de sa partition qu’il n’ouvrit point.

– Tout l’opéra, dit-il, repose sur une basse comme sur un riche terrain. Mahomet devait avoir une majestueuse voix de basse, et sa première femme avait nécessairement une voix de contralto. Cadhige était vieille, elle avait vingt ans. Attention, voici l’ouverture ! Elle commence (ut mineur) par un andante (trois temps).

Entendez-vous la mélancolie de l’ambitieux que ne satisfait pas l’amour ? À travers ses plaintes, par une transition au ton relatif (mi bémol, allégro quatre temps) percent les cris de l’amoureux épileptique, ses fureurs et quelques motifs guerriers, car le sabre tout-puissant des califes commence à luire à ses yeux. Les beautés de la femme unique lui donnent le sentiment de cette pluralité d’amour qui nous frappe tant dans Don Juan. En entendant ces motifs, n’entrevoyez-vous pas le paradis de Mahomet ? Mais voici (la bémol majeur, six huit) un cantabile capable d’épanouir l’âme la plus rebelle à la musique : Cadhige a compris Mahomet ! Cadhige annonce au peuple les entrevues du prophète avec l’ange Gabriel (Maestoso sostenuto en fa mineur). Les magistrats, les prêtres, le pouvoir et la religion, qui se sentent attaqués par le novateur comme Socrate et JésusChrist attaquaient des pouvoirs et des religions expirantes ou usées, poursuivent Mahomet et le chassent de La Mecque (strette en ut majeur). Arrive ma belle dominante (sol quatre temps) : l’Arabie écoute son prophète, les cavaliers

arrivent (sol majeur, mi bémol, si bémol, sol mineur ! toujours quatre temps). L’avalanche d’hommes grossit ! Le faux prophète a commencé sur une peuplade ce qu’il va faire sur le monde (sol, sol). Il promet une domination universelle aux Arabes, on le croit parce qu’il est inspiré. Le crescendo commence (par cette même dominante). Voici quelques fanfares (en ut majeur), des cuivres plaqués sur l’harmonie qui se détachent et se font jour pour exprimer les premiers triomphes. Médine est conquise au prophète et l’on marche sur La Mecque. (Explosion en ut majeur). Les puissances de l’orchestre se développent comme un incendie, tout instrument parle, voici des torrents d’harmonie. Tout à coup le tutti est interrompu par un gracieux motif (une tierce mineure). Écoutez le dernier cantilène de l’amour dévoué ? La femme qui a soutenu le grand homme meurt en lui cachant son désespoir, elle meurt dans le triomphe de celui chez qui l’amour est devenu trop immense pour s’arrêter à une femme, elle l’adore assez pour se sacrifier à la grandeur qui la tue ! Quel amour de feu ! Voici le désert qui

envahit le monde (l’ut majeur reprend). Les forces de l’orchestre reviennent et se résument dans une terrible quinte partie de la basse fondamentale qui expire, Mahomet s’ennuie, il a tout épuisé ! le voilà qui veut mourir Dieu ? L’Arabie l’adore et prie, et nous retombons dans mon premier thème de mélancolie (par l’ut mineur) au lever du rideau. – Ne trouvez-vous pas, dit Gambara en cessant de jouer et se retournant vers le comte, dans cette musique vive, heurtée, bizarre, mélancolique et toujours grande, l’expression de la vie d’un épileptique enragé de plaisir, ne sachant ni lire ni écrire, faisant de chacun de ses défauts un degré pour le marche pied de ses grandeurs, tournant ses fautes et ses malheurs en triomphes ? N’avez-vous pas eu l’idée de sa séduction exercée sur un peuple avide et amoureux, dans cette ouverture, échantillon de l’opéra.

D’abord calme et sévère, le visage du maestro, sur lequel Andrea avait cherché à deviner les idées qu’il exprimait d’une voix inspirée, et qu’un amalgame indigeste de notes ne permettait pas d’entrevoir, s’était animée par degrés et avait

fini par prendre une expression passionnée qui réagit sur Marianna et sur le cuisinier. Marianna, trop vivement affectée par les passages où elle reconnaissait sa propre situation, n’avait pu cacher l’expression de son regard à Andrea. Gambara s’essuya le front, lança son regard avec tant de force vers le plafond, qu’il sembla le percer et s’élever jusqu’aux cieux.

– Vous avez vu le péristyle, dit-il, nous entrons maintenant dans le palais. L’opéra commence. Premier acte. Mahomet, seul sur le devant de la scène, commence par un air (fa naturel, quatre temps) interrompu par un chœur de chameliers qui sont auprès d’un puits dans le fond du théâtre (ils font une opposition dans le rythme. Douze-huit). Quelle majestueuse douleur ! elle attendrira les femmes les plus évaporées, en pénétrant leurs entrailles si elles n’ont pas de cœur. N’est-ce pas la mélodie du génie contraint ?

Au grand étonnement d’Andrea, car Marianna y était habituée, Gambara contractait si violemment son gosier, qu’il n’en sortait que des

sons étouffés assez semblables à ceux que lance un chien de garde enroué. La légère écume qui vint blanchir les lèvres du compositeur fit frémir Andrea.

– Sa femme arrive (la mineur). Quel duo magnifique ! Dans ce morceau j’exprime comment Mahomet a la volonté, comment sa femme a l’intelligence, Cadhige y annonce qu’elle va se dévouer à une œuvre qui lui ravira l’amour de son jeune mari. Mahomet veut conquérir le monde, sa femme l’a deviné, elle l’a secondé en persuadant au peuple de La Mecque que les attaques d’épilepsie de son mari sont les effets de son commerce avec les anges. Chœur des premiers disciples de Mahomet qui viennent lui promettre leurs secours (ut dièse mineur, sotto voce). Mahomet sort pour aller trouver l’ange Gabriel (récitatif en fa majeur). Sa femme encourage le chœur. (Air coupé par les accompagnements du chœur. Des bouffées de voix soutiennent le chant large et majestueux de Cadhige. La majeur). Abdollah, le père d’Aiesha, seule fille que Mahomet ait trouvée vierge, et de qui par cette raison le prophète changea le nom

en celui d’Aboubecker (père de la pucelle), s’avance avec Aiesha, et se détache du chœur (par des phrases qui dominent le reste des voix et qui soutiennent l’air de Cadhige en s’y joignant, en contre-point). Omar, père d’Hafsa, autre fille que doit posséder Mahomet, imite l’exemple d’Aboubecker, et vient avec sa fille former un quintetto. La vierge Aiesha est un primo soprano, Hafsa fait le second soprano, Aboubecker est une basse-taille, Omar est un baryton. Mahomet reparaît inspiré. Il chante son premier air de bravoure, qui commence le finale (mi majeur) ; il promet l’empire du monde à ses premiers Croyants. Le prophète aperçoit les deux filles, et, par une transition douce (de si majeur en sol majeur), il leur adresse des phrases amoureuses. Ali, cousin de Mahomet, et Khaled, son plus grand général, deux ténors, arrivent et annoncent la persécution : les magistrats, les soldats, les seigneurs, ont proscrit le prophète (récitatif). Mahomet s’écrie dans une invocation (en ut) que l’ange Gabriel est avec lui, et montre un pigeon qui s’envole. Le chœur des Croyants répond par des accents de dévouement sur une modulation

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